Je suis arrivé à Louisville au Kentucky après un vol de nuit dans 3 avions différents; ce qui dissipa mes derniers doutes quant au fait qu’il ne s’agissait pas d’une destination touristique usuelle au mois de septembre…
J’étais donc un peu fatigué, mais l’excitation de visiter toutes ces distilleries de Bourbon me donnait pas mal d’énergie, comme vous pouvez surement l’imaginer!
Bon, parlant de Bourbon, quelques précisions s’imposent. Premièrement, le Bourbon est un whiskey, tout comme le scotch (mais avec un « e » dans le mot). Il provient généralement (mais pas exclusivement) du Kentucky.
La petite histoire du nom « bourbon » est d’ailleurs passablement alambiquée, si vous me permettez l’expression : En effet, les premières distilleries de whiskies étaient situées dans le canton (county) du nom de Bourbon (nommé ainsi en hommage au soutien de la France lors de la guerre d’indépendance). Leur whiskey était extrêmement populaire à la Nouvelle-Orléans grâce à leur goût si raffiné. En effet, pour être exporté vers le reste du monde, le whisky voyageait le long de la rivière Mississipi durant plusieurs mois. Et pour faciliter le transport, il était « emballé » dans des fûts neufs de chêne américain, marqués « Bourbon County ». Le vieillissement faisait donc son œuvre (le whisky but à cette époque n’était habituellement pas vieilli). Aussi, de tous les whiskies provenant à la Nouvelle Orléans, les whiskeys du conté de Bourbon étaient les seuls dont l’eau était filtrée par des pierres calcaires, ce qui faisait disparaître le goût de métal des autres whiskeys. Les consommateurs de la Nouvelle-Orléans, impressionnés par ce goût, finirent par réclamer plus de cet excellent « Bourbon’s sippin’whiskey ». Et le nom est ainsi passé à l’histoire…
De plus, le Bourbon doit toujours contenir un minimum de 51% de maïs. Il peut donc aussi contenir de l’orge, du seigle, du blé ou d’autres céréales. Aussi, il doit toujours être vieilli dans des futs de chêne neufs, brûlés, et ce au grand plaisir des écossais! (qui les récupèrent pour faire vieillir leur scotch!).
Ces whiskeys sont vieillis pour un minimum de 2 ans (contrairement à 3 ans en Écosse) et rarement plus de 12 ans. Il ne faut toutefois pas se baser sur cette donnée pour statuer que le scotch est de meilleure qualité que le Bourbon. En effet le Bourbon vieillit beaucoup plus rapidement que le scotch pour 2 principales raisons. Premièrement, à cause des températures beaucoup plus extrêmes au Kentucky qu’en Écosse. Deuxièmement, car les fûts neufs utilisés accélèrent échanges avec le bois.
Les Distilleries
Je me suis donc dirigé vers la distillerie de Woodford, localisée dans la lointaine banlieue de Frankfort, la capitale de l’état. Moi qui m’attendais à une autre ville américaine sans personnalité, j’ai été bien surpris! Quelle ville superbe! Il y a énormément de vieux bâtiments, l’architecture est très belle et le site est enchanteur.
Pour atteindre la distillerie, il faut un sens de l’orientation exemplaire. En effet, la seule voie reliant la distillerie au reste du monde est une petite route d’une seule voie de large (qui ne « rencontre » pas) dont de grands bouts commencent à s’affaisser dans la rivière qu’elle longe. Un peu inquiétant, pour le moins! Les gens du Kentucky paient moins de taxes que nous, et ça parait sur les routes!
Ensuite, j’ai fini par croiser les ruines d’une superbe distillerie qui a dû être fermée il y a plus de 40 ans vu l’état de décrépitude avancée du bâtiment qui était certainement majestueux à l’époque avec sa forme de château médiéval. Charmant, mais pas rassurant!
Woodford Reserve Distillery
J’ai quand même fini par arriver à la distillerie, qui est situé sur un site véritablement enchanteur! Le pavillon d’accueil offre une excellente présentation sur le mode de fabrication de ce whisky, et ce whiskey a la particularité d’être le seul Bourbon à utiliser exclusivement des pots still (3, comme en Irlande).
Le bourbon Woodford Reserve
Quelques données au sujet de ce Bourbon
- Contient 72 % de maïs non sucré, 18% de seigle et 10% d’orge
- Au moins 6-7 ans d’âge
- 45% d’alcool
Mes notes de dégustation :
Nez: Raisins brûlés, cassonade, épices, seigle. Chêne. Goût: Plutôt sec. Épices. Un peu d’amertume venant du bois fumé en finale. Vanille. Notes d’agrumes. Finale : Délicieuse. Épices et légère amertume. Commentaire global: Excellent whisky, un peu moins sucré que la plupart des bourbons, ce qui fait mon bonheur personnellement.
Four Roses Distillery
Enfin, après un tout petit verre de dégustation à Woodford, j’ai repris la route en direction de l’énigmatique distillerie Four Roses. En effet, cette distillerie exporte 99% de sa production en Europe et en Asie, ne gardant qu’un maigre 1% pour le marché local (cette situation est présentement en train de changer… Surveillez bien quebecwhisky.com d’ici 12 mois à ce sujet!).
Les bâtiments abritant la distillerie sont extraordinaires. Ils ressemblent à de vieilles maisons mexicaines, peintes en jaune et couvertes de roses. On est loin des bâtiments industriels en tôle ondulée que je m’attendais à découvrir.
J’y ai eu droit à une visite privée très particulière : 3 guides s’occupant exclusivement de moi, dont Al Young, le Brand Amabassador.
Lors de cette tournée, j’ai eu la chance unique de pouvoir goûter au whiskey à différentes étapes de sa fabrication, soit à la sortie de l’alambic à colonne (impressionnant avec ses 5 étages de haut!) et du pot still!! (la plupart des Bourbons subissent habituellement une double distillation : la 1ère dans un alambic à colonne, et la seconde dans un pot still de type écossais).
La chaleur dans le bâtiment où a lieu la distillation est tout simplement infernale. Pour vous donner une idée, j’ai ensuite trouvé le 35C à l’extérieur très rafraichissant comparativement au four qu’est la distillerie!
Four Roses Single Barrel
Quelques données au sujet de ce whisky :
- 6 ans de vieillissement minimum, jusqu’au double pour les meilleurs (comme le single barrel)
- Les entrepôts servant au vieillissement n’ont qu’un seul étage, contrairement à la plupart des distilleries où ils mesurent 7 à 8 étages de haut. Ceci permet donc d’uniformiser le goût d’un baril à l’autre car dans un bâtiment plus haut, la température n’est pas la même selon les étages
- Ce whisky est composé en général de maïs à 60%, seigle à 35% et le malt compose le 5% restant
- 50% d’alcool
Mes notes de dégustation :
Nez: riche, épices de gâteau aux fruits, vanille. Goût: sucre de fruits (mûres), chene, vanille. Finale: fruité, légère épice, vanille. Commentaire : Côté 92 dans la Bible du Whisky, non sans raison. Ce Bourbon est de la première qualité!
En soirée, le centre-ville de Louisville a tout ce qu’on attend d’une ville américaine typique construite en fonction des banlieusard pressés de rentrer à la maison: il est complètement désert. Complètement? À une spectaculaire exception près: la 4th Street. En effet, la rue est transformée en gigantesque bar (vous devez même prouver que vous avez plus de 21 ans pour y circuler), la musique est à tue-tête à l’extérieur, la rue est éclairée par des centaines de néons et de spots, et le tout est recouvert d’une toiture géante fixée au 7ème étage (on est loin de l’ancien Mail St-Roch à Québec!).
En fait, on y retrouve 7-8 bars de musique (surtout des chaînes internationales, telles que le Hard Rock Café), des restos branchés et des kiosques de boissons énergies dans le milieu de la chaussée, piétonne, bien entendu! Le tout est sur 2 étages, accessibles par de nombreux escalators extérieurs qui donnent sur la rue.
Ainsi, après quelques délicieux bourbons et une bonne nuit de sommeil (malgré tout), je me suis dirigé vers ma 1ère distillerie de cette journée, Heaven Hill.
Heaven Hill Distillery
En arrivant sur le site de la distillerie, l’architecture industrielle des bâtiments est frappante. Ce style est principalement dû au fait que le feu, en 1996, a détruit la distillerie ainsi que 2 des entrepôts. Il faut dire que lorsqu’un incendie se déclare dans une distillerie, la seule chose à faire est d’espérer que les voisins n’y passeront pas aussi!!! Le nouveau bâtiment principal est malheureseument hors limite aux visiteurs, mais on ne peut pas dire que ces derniers sont portés à s’y diriger!
La visite était passablement plus courte que les précédentes, compte tenu que nous n’avons visité que les entrepôts (où l’odeur qui y règne, due à la « part des anges » (l’évaporation du whisky) est vraiment délicieuse et enivrante).
Parlant de part des anges, nous avons vu un baril de 1971. Sur les 53 gallons qu’il contenait à l’origine, il n’en reste plus qu’un seul! En fait, à titre de comparaison, un fût de bourbon de 12 ans d’âge de Bourbon aura généralement perdu 47 % de son volume. Ca rends les prix des vieux whiskies beaucoup plus acceptables!!!
Au cours de mes différentes visites de distilleries, j’ai souvent eu la chance de participer à différentes étapes de la fabrication d’un whiskey. Pour la première fois, j’ai pu occuper le poste habituellement réservé aux anges!!! En effet, nous avons pu sentir directement dans un fût en cours de vieillissement. Les odeurs en émanant étaient fantastiques : Très sucrées avec un fort caramel et du maïs. Une expérience paradisiaque, il va sans dire!
Les entrepôts sur le site de la distillerie mesurent plus de 8 étages de haut. Ces bâtiments sont tellement gigantesques que des employés ont récemment retrouvés un baril de 23 ans d’âge qui y avait été perdu durant de nombreuses années. Belle surprise!
En été, les fenêtres des entrepôts sont gardées ouvertes au rez-de-chaussée et au dernier étage afin de permettre au whisky de prendre de l’expansion en se réchauffant dans les fûts et ainsi de pénétrer le bois. En hiver, à l’inverse, le froid fait que ce processus s’inverse, ce qui contribue à accélérer de façon notable le processus de vieillissement de ce whiskey. A noter, à cause des grands écarts de température que connaît le Kentucky, le vieillissement s’y accomplit environ 50% plus rapidement qu’en Écosse. En effet, les températures y varient entre -15C et +40C, soit un écart de presque 60C, alors qu’en Écosse la température variera plutôt entre 0C et 30C, soit la moitié de l’écarts de température constaté au Kentucky.
Bref, la visite est très sommaire, mais le centre d’interprétation est très instructif. Nous y apprenons énormément sur l’histoire du whisky, comme le fait que les colons qui choisissaient de s’établir au Kentucky se faisaient offrir 400 acres de terre. Pour les nombreux Irlandais et Écossais parmi les immigrants de l’époque, c’était un cadeau inespéré. Et évidemment, on peut deviner qu’ils ont apportés avec eux quelques souvenirs des vieux pays, comme la joie de la distillation des produits céréaliers.
Nous y avons aussi appris que la technique d’utilisation de fûts carbonisés a été découverte par accident à la distillerie Heaven Hill, qui est considéré comme le père spirituel du Bourbon. En effet, des barils avaient été brûlés par accident. Le propriétaire de l’époque, Elijah Craig, qui ne voulait pas perdre cet investissement, les a quand même utilisés. A sa grande surprise, ses clients se sont mis à réclamer de cet excellent whiskey, dont le goût avait été adouci par le bois carbonisé des barriques.
Enfin, pour se faire pardonner semble-t-il (!), notre guide nous a offert une dégustation où nous avons comparés des bourbons âgés de 10 et 18 ans d’âge, ce qui est fort respectable pour un Bourbon!
Elijah Craig Single Barrel 18 years old
Quelques données au sujet de ce Bourbon
- Contient 70 à 78 % de maïs
- Au moins 18 ans d’âge
- Ce Single Barrel provient d’un baril qui a été entreposé au dernier étage de l’entrepôt, mis en fût le 28 septembre 1989, fût no. 2340.
- 45% d’alcool
Mes notes de dégustation :
Nez:. Superbe, ample, fin. Épicé (cannelle), fruité (pomme), floral et vanillé. Goût: Ronde, notes de miel et de chocolat. Épices douces. Chêne brûlé. Finale : Douce amère, boisée, marquée par la réglisse et la vanille. Boisée et sucrée (maïs?) Commentaire global: Vieillissement exemplaire! Si vous pensez que les bourbons sont inférieurs aux scotchs, c’est que vous n’avez pas essayé ce whiskey! Ce whiskey à lui seul vaut presque le voyage!
Maker’s Mark Distillery
Je crois que nous pourrions ajouter une condition pour rendre un whiskey éligible à être nommé « Bourbon »: Il faut que la distillerie soit au milieu de nulle part. Des points bonus seraient accordés si aucune route ne s’y rends! Tout ca pour dire que lorsque je suis arrivé à Maker’s Mark, on m’a dit que la visite y était très appréciée, car on reconnaissait que ca prenait beaucoup de volonté pour s’y rendre!
En fait, l’une des principale raison pour que la quasi-totalité des distilleries américaines de whiskey soient concentrées au Kentucky et au Tennessee est dû à la qualité de l’eau de source qu’on y retrouve: elle y est abondante et surtout calcaire grâce à la pierre sur laquelle ces 2 États se sont construits.
Ici encore, j’ai eu la chance de goûter le whiskey dans ses premières étapes de fabrication. J’ai pu goûter le « mash » (en gros, la « bière du distillateur » que l’on va distiller pour avoir du whiskey) à chacune de ses 3 journées d’évolution. Et il s’agit réellement d’une évolution:
Jour 1, c’est un liquide froid très léger qui goûte très légèrement les céréales;
Jour 2, le liquide est toujours relativement froid, mais il est maintenant très sucré;
Jour 3, le mash est rendu tiède (et ceci sans aucun chauffage; la chaleur ressentie provient exclusivement des réactions chimiques) et goûte « sûre ». D’où l’expression « sour mash » que l’on retrouve sur de nombreuses bouteilles. A noter que ce goût acidulé et aigre différencie les Bourbons des Scotchs écossais dont le mash est plutôt sucré au goût.
Nous avons ensuite visité la salle des alambics. Il est difficile d’imaginer la chaleur torride et l’humidité qui règne dans cette salle. Compte tenu que ma saison préférée est l’hiver, je ne m’y suis pas éternisé plus longtemps qu’il fallait!
A Maker’s Mark, tout comme dans la plupart des distilleries de Bourbon, la majeure partie des opérations sont effectuées à la main. Et pour remercier mes hôtes pour leur hospitalité, je ne me suis pas fait prier pour mettre la main à la pâte!
Enfin, les fûts de Maker’s Mark sont entreposés jusqu’à sept ans. A noter qu’après trois ans dans les étages supérieurs de l’entrepôt, les fûts sont déplacés à tous les 2 ans et 9 mois à différents endroits de l’entrepôt, le tout à la main! Quand on pense que le poids moyen d’un fût est d’au moins 500 livres, les employés ne doivent pas être chétifs!
le bourbon Maker’s Mark
Quelques données au sujet de ce Bourbon
- Contient 70 % de maïs, 14% d’orge malté et 16% de blé rouge d’hiver. Le blé rouge d’hiver est ce qui le rend unique.
- Au moins 6-7 ans d’âge
- 45% d’alcool
Mes notes de dégustation :
Nez: Cassonade, vanille, fruits exotiques et miel. Malt, noix, huileux (extrêmement frais et fruité). Goût: Beurre, sucre, vanille, caramel anglais, réglisse, un peu d’épices. Fruité, goût marqué de blé. Finale : Goût sec, avec du caramel anglais, et du chêne. Commentaire global: Idéal pour une promenade, une chaude nuit d’été, sur Bourbon Street à la Nouvelle Orléans!!!
En conclusion
Petite anecdote intéressante, ma guide chez Maker’s Mark avait déjà visité le Québec il y a quelques années… Et elle m’a dit qu’elle était impressionnée par la grande qualité de nos routes! Il faut comprendre que le Kentucky est un fief Républicain depuis plusieurs générations et que leur façon de gagner les élections est simple: ils promettent de geler les taxes! Ainsi, l’État ayant pratiquement vu ses revenus gelés depuis des décennies, il ne faut pas s’étonner que certaines routes soient littéralement en train de partir à la dérive.
Donc, en résumé, le Kentucky avait beaucoup plus à offrir que je m’y attendais Les paysages un peu monotones sont contrebalancés par une superbe architecture, une histoire relativement riche et une culture épanouie, du moins dans les grands centres. Il ne faut pas oublier la spectaculaire fracture entre les gens des villes modernes et ceux des campagnes, où le temps semble s’être arrêté. Mais partout et surtout, les gens y sont très sympathiques et chaleureux.